Svalbard: un paradis blanc et sauvage du ski de rando où l’ours polaire est roi
Si tous les voyages commencent par un coup d’œil sur ma carte, ce voyage a commencé par un vieux rêve. Un rêve que j’ai depuis petit, à l’époque où je regardais la série "All Sails Up". Un rêve dans lequel je m’imaginais me rendre dans les régions nordiques en hiver, avec un multi-voilier, pour voir des manchots, des morses, pour rencontrer des ours polaires et des esquimaux.
Le rêve a commencé à prendre forme il y a cinq ans lorsque j'ai commencé à skier avec un splitboard, un snowboard qui peut être séparé en deux parties semblables à un ski. J'ai ensuite rencontré un Suisse qui m'a parlé de son projet de naviguer avec un petit voilier dans les fjords norvégiens. Pour des raisons financières, le projet n'a pas été réalisé, mais j'ai continué à rêver de ces magnifiques itinéraires.
Entre-temps, j'ai commencé à travailler avec le Club alpin suisse (CAS) et mes chers amis, Dinu et Marlene Mititeanu. En 2017, j'ai rencontré Olivier, ingénieur suisse, grand voyageur et passionné de ski. Ensemble, nous avons organisé le plan du séjour et résolu tous les problèmes financiers, techniques et de vol, de réservations d'hôtels et de bateaux. ZAG, entreprise basée à Chamonix en France, m’a parrainé et m’a permis de partir avec deux paires de skis de rando légers des gammes ADRET et UBAC. J’ai acheté le reste du matériel (fixations, couteaux, crampons, piolet, peaux de phoque) avec mes économies. Nous étions prêts à partir.
Le 26 avril, nous partons de Genève, nous faisons escale à Oslo, puis 15 heures plus tard, nous atterrissons au petit aéroport de Longyearbyen, à Spitzberg, la ville la plus septentrionale au monde avec une population civile permanente de 3 000 d'habitants et une superficie plus grande que celle de la Suisse. Nous quittons l'aéroport pour prendre le bus en direction de la ville. En cette période de l'année, lorsque le printemps arrive, le soleil ne se couche jamais, ce qui nous laisse 24 heures sur 24 de ski, sauf si le froid nous en empêche. Svalbard est un archipel d'îles situé en plein océan Arctique, à 650 km de la Norvège et à 1000 km du pôle Nord.
Cette partie du monde est connue en Europe sous le nom de Spitzberg, la plus grande île de l'archipel, où se situe également la capitale, Longyearbyen. Placée sous la souveraineté norvégienne en 1920, Spitzberg a commencé à s’ouvrir au tourisme au début du XXIe siècle, grâce au plus bel animal que nous puissions rencontrer ici, Ursus maritimus, autrement dit, l’Ours Polaire.
Autrefois chassé, aujourd'hui protégé, l'ours polaire est le roi de ces lieux, et c'est la première chose que nous apprenons dans le briefing sur la sécurité de notre guide italien, Andrea Fusari, qui insiste sur le fait que « l'ours est chez lui. Nous sommes simplement invités ». Les guides qui nous accompagnent ont déjà rencontré des ours polaires. En cas de rencontre avec un ours, la première chose à faire est de nous regrouper en cercle avec discipline et de faire le plus de bruit possible avec ce que nous avons sous la main. Si le bruit ne suffit pas à faire peur à l'animal, les guides tirent avec les pistolets d'alarme, puis avec les fusils. Bien sûr, il n’est pas question de tuer.
Le vendredi 27 avril, le yacht néerlandais Vanatu, nommé d'après le célèbre peintre néerlandais Rembrandt van Rijn, quitte le port de Longyearbyen avec trente personnes à son bord. Parmi nous, de nombreux Suisses, cinq Allemands, deux Français, deux Néerlandais, un Canadien et moi, un Roumain exilé en Suisse.
Notre bateau, le yacht Rembrandt van Rijn, a une coque spécialement renforcée pour naviguer dans l'océan arctique. Notre première destination est un petit fjord à 8 heures de navigation, Ymerbukta. La vie à bord d'un yacht n'est pas facile. En plus du mal de mer et du froid qui pénètre jusqu'aux os, il existe des règles strictes, que nous allons devoir appliquer à chaque fois que nous montrons à bord. On nous explique les procédures en cas d’incendie, l’utilisation de combinaisons spéciales en néoprène, l’utilisation de gilets de sauvetage et de balises de signalisation.
Ymerbukta - Test de niveau physique et technique de ski
À 9 heures, nous nous préparons à accoster. Les zodiacs sont à l’eau, Andrea et Maximo, les deux guides italiens, sécurisent la zone. La première chose qu’Andrea fait est de charger son arme et de patrouiller jusqu’à ce que tous les skieurs arrivent vers la côte. Dès lors que le deuxième zodiac se préparait à accoster, Camile, l'un des guides venu aider les passagers à descendre, disparaît sous la glace ! La banquise n’était pas assez épaisse. Nous l’aidons à sortir, mais pauvre de lui, ses vêtements sont glacés et ses chaussures de ski sont pleines d’eau. Il retourne au yacht pour se changer et, au bout de 30 minutes, nous commençons le test DVA (Détecteur de Victimes d’Avalanches) et nous chaussons les skis. L’objectif de la journée était un petit sommet de 800 mètres.
Bien que les montagnes ne soient pas très hautes, elles sont très raides avec des pentes de plus de 40 degrés. Combiné aux glaciers, l'environnement dans lequel nous évoluons devient rapidement assez technique et nécessite de bons équipements d'alpinisme, sans oublier une excellente technique de ski. Nos guides veulent connaître le niveau sportif et technique de chacun afin de pouvoir former les groupes et déterminer le calendrier des prochains jours.
Le plafond de nuages atteignait 300 mètres et semblait rester là pour le reste de la journée. Nous nous mettons en file indienne derrière Camile, notre guide aujourd'hui. En arrivant au sommet, on ne voyait presque rien. Nous avons immédiatement enlevé nos peaux et commencé à descendre. Après 5 minutes, quand nous sommes sortis du brouillard, nous avons réalisé que nous avions atteint la vallée des glaciers et qu'il était maintenant impossible d'atteindre le yacht. Andrea nous appelle via la station de radio et nous dit de contourner la zone glacière et nous donne rendez-vous là où nous avions accoster. Arrivé au point de rendez-vous, Andrea, pour connaître la capacité physique et le niveau de ski de chacun, nous propose discrètement de faire un deuxième sommet avec 600 D + en 1h30, étant limité dans le temps en raison du mouvement du navire dans un autre fjord. Le rythme était intense, nous devions faire attention à chaque virage, sinon nous risquions de dévaler la pente et de prendre un bain à 1°C dans l'océan Arctique.
Nous avons réussi à atteindre le bas où nous avons dû laisser nos sacs et nos skis et parcourir les 50 derniers mètres à pied. À ce moment, la station de radio d’Andrea a entendu la voix du capitaine lui demandant de revenir à bord du navire dans 30 minutes. Un front atmosphérique avec beaucoup de vent se dirigeait vers le fjord dans lequel nous nous trouvions. Nous avions eu une heure pour sortir de là. Nous montons les uns après les autres la pente raide et gelée. Pour la descente, j'étais le dernier, car Andrea avait estimé que je connaissais assez l’environnement montagneux et m’a laissé assurer le dos du groupe. Malheureusement, la couche de neige recouvrant les falaises n'était pas assez épaisse pour permettre à mes skis de glisser sans problème dans la vallée. Dans un virage, mon ski droit a heurté un coin de rocher et quelques secondes plus tard, je me suis retrouvé à slalomer parmi les rochers avec un seul ski. Heureusement que le ski dispose de freins et qu’il est resté loin de moi. Après une descente difficile, j’ai rejoint le groupe qui m'attendait quelques minutes plus tard. Le résultat : j'ai réussi le test et je suis entré dans le groupe des guides en chef, malgré le trou dans ma semelle.
L'arrivée à St JonsFjorden
C’est un de ces jours dont vous rêvez. Le temps était magnifique, il n'y avait pas de vent et, devant nous, de nombreux pics s’élevaient, semblant sortir de l'océan, prêts à nous recevoir. La nuit précédente, il était tombé plusieurs centimètres de neige fraîche. Notre groupe était guidé par Maximo, le guide en chef.
L'itinéraire se présentait ainsi: après débarquement sur la terre ferme, nous allions évoluer sur un long iceberg pendant quelques heures et nous avions à gravir un sommet en forme de pyramide. Après 4 heures de ski, nous avons atteint le sommet. Nous étions tous comme des enfants, nous courions avec notre appareil photo, à gauche et à droite, hurlant de joie. À nos pieds se trouvait l'océan Arctique. C’était le paradis dont rêvent tous les skieurs. Nous avons préparé nos skis et, un à la fois, nous nous avons descendu la face raide, jusqu’au point de rendez-vous. Nous nous sommes alors serrés dans les bras comme si nous nous connaissions depuis toujours. Quel plaisir!
KongsFjorden - Grenouille congelée
Le troisième jour a commencé avec un réveil plus tôt. Le fjord dans lequel nous pénétrions avait un énorme glacier à sa base, entouré de nombreux icebergs. Le paysage était sublime. Le temps était sur le point de changer, des nuages épais à l'horizon l’annonçait. Les équipes ont quitté la base du glacier, que nous avons réussi à contourner par le côté droit. Au fur et à mesure que nous montions, la pente devenait plus raide : c’était dû à la force du vent qui avait sculpté des crêtes et des pointes acérées, comme des lances. Maximo avait peur de glisser le long de ce mur abrupt. Une fois au sommet, le ciel était déjà couvert. Nous avons choisi un couloir avec moins de rochers. Maximo est descendu en premier et nous a demandé d'attendre jusqu'à ce qu'il ait vérifié la nivologie. Il nous a ensuite appelé. Au bout de 3 minutes, il avait déjà disparu dans l’épaisse couche de nuages, nous entendons un cri dans un pur italien : Dai ! Dai ! (va, va !). Nous avons séjourné à KongsFjorden pendant deux jours. Le lendemain, comme il faisait mauvais le matin, nous avons commencé à skier au début de la nuit.
Qui a dit que nous ne pouvions pas skier la nuit ? Le soleil ne s'est jamais couché, et nous pouvions skier 24h sur 24.
Les groupes avaient commencé à se réunir. Personne ne doit s’éloigner à plus de 50 m du groupe. Les guides avaient toujours le fusil sur l'épaule, prêts à réagir au moindre signal d’alarme. Malheureusement ou heureusement, les seuls animaux que j'ai pu découvrir étaient des rennes, des renards polaires, des phoques enjoués et une colonie de morses.
Prins Karl Forland
Dans la soirée, le capitaine propose de s’arrêter dans un petit village de recherche scientifique, Ny Alesund. Ici, les règles sont strictes, il est interdit d’utiliser nos téléphones ou des émetteurs-récepteurs, et nous comprenons vite pourquoi. Loin sur les collines autour du village, il y a d'énormes antennes paraboliques qui écoutent les messages envoyés depuis l'espace. La population saisonnière est d'environ 100 habitants, la plupart des chercheurs étant russes, norvégiens et anglais. Au centre de la colonie, peuplée de maisons colorées, se trouve un immense Nordpol hotellet (hôtel du pôle nord), où figure la statue de Roald Amudsen, le premier Norvégien à être arrivé au Pôle Nord en 1926.
Ici, il y a un magasin ouvert de 20 à 21h30 où vous pouvez acheter des souvenirs. Je voulais garder un souvenir, alors ils ont apposé un tampon sur mon passeport. C'est le plus beau souvenir que j'ai pu avoir à Ny Alesund, la ville du 79e méridien. Dans cette ville, la plus nord au monde, j'ai vu au loin un brise-glace et un sous-marin russe, de véritables monstres qui sillonnent les eaux glacées.
Le lendemain, sur Prins Karl Forland, une île parallèle au Spitzberg, j'ai profité d'une magnifique journée de freerando à la lumière d'un coucher de soleil mythique. La glace qui ressemblait à de l’émeraude nous entourait. J'ai eu l'impression que nous étions des prisonniers, une image qui est devenue réalité plus tard quand j'ai pu voir le yacht entouré par la banquise. Sans grande surprise, lorsque nous sommes retournés au point de sortie, nous ne pouvions plus sortir car la glace nous avait encerclé en moins de 10 minutes.
Le retour à Longyearbyen ne s'est pas fait sans problèmes. Le premier incident a eu lieu immédiatement après le dîner d'adieu, lorsque le bateau a commencé à tanguer et osciller en raison du vent. Tout le monde à bord, à part l'équipage, a commencé à se sentir mal. Si les autres sortaient sur le pont pour se vider le ventre, je préférais aller en cabine pour dormir. Jusqu’à mi-parcours, j’entendis des bruits forts qui ressemblaient à un troupeau de béliers qui chargeaient. J'ai eu peur et je suis sorti rapidement sur le pont pour voir ce qu'il se passait. La surprise a été énorme lorsque j'ai remarqué que nous traversions une zone pleine de fragments de glace, certains plus grands que d'autres. Je ne pouvais pas dormir avant d'arriver au port de Longyearbyen. À 2 heures du matin, le bus est venu nous faire sortir du port. À 2 h 30 après que l'avion ait été aspergé d'un produit dégivrant et après une longue course sur la piste gelée du petit aéroport, nous reprenons notre vol de retour sur la route Oslo-Copenhague-Genève.
Maintenant, je peux dire que j'ai réalisé un rêve et que je rêve déjà de ma prochaine aventure.
Texte/Images: Florin Bîscu